Séville : Feria de Abril 2008 (2/2)
Dimanche : de pelle à gateau
C’est triste une ville le dimanche. Tout est fermé. Et c’est encore plus glauque quand on n’y a pas ses repères. Pour combattre la tristesse du jour, on fait la sieste et franchement c’est pas du luxe. Point de vue toro, ça part aussi mal que la veille (les Parlade seront qualifiées de petits chats dans Marca). Le premier toro est changé. Pour le faire sortir dix vaches font leur entrée en piste… mais le berger n’arrive pas à faire ressortir le troupeau. C’est long, surréaliste mais drôle. Morante est plus motivé qu’à son habitude. Quelques gestes très Morante suffisent à faire hurler la maestranza. On apprécie mais cette nouvelle exagération de la foule nous laisse dubitatif. Salvador Cortes a le mérite d’essayer, en vain. Il parait que Finito de Cordoba était au cartel. Triste journée. Pour se remonter le moral, on fait la tournée des cafés, sans conviction. On finit par manger au bar du patron-chanteur. L’ambiance est morte, genre enterrement, on a l’impression de déranger. La serveuse ne se presse pas et nous ignore. Elle met des heures à nous servir, sans jamais nous apporter la bonne commande. Je crois qu’ils sont fous, vraiment. Peu avant minuit, le patron chante. Le scénario est identique au premier soir, c’est un attrape touriste. La déception est énorme. Sur la route de la pensión, on prend un dernier verre à la Casa Placido notre café du petit déjeuner. Au dessus du comptoir, un petit panier de basket couvre un saladier d’argent. La serveuse y jette les pièces de monnaies laissées par les clients sans jamais rater un tir. Défit. On vide nos poches et on entame un tournois de lancé francs avec des pièces de 5, 10 et 20 centimes. C’est le meilleur moment de la journée. Au total, on a du jeter au moins deux euros dans ce panier. Tous les bars devraient faire la même chose.
Lundi : torero aquatique
Ça devient une habitude, les toros sont minables. Le pire c’est que se sont des Juan Pedro Domecq. La présidence incompétente provoque plusieurs moments de flottement dans la corrida et le vent souffle avec force sur la Maestranza. Face à ses conditions, Ponce est invisible, Castella et Manzanes bâclent leur premier toro. Au cinquième, Castella se joue la vie en toréant au centre de la piste, il sera le seul. Le début de la faena est marquée par son traditionnel cambio dans le dos avec une muleta devenue girouette. Il impose son autorité au toro qu’il toréé parfaitement prenant tous les risques pour (ré)affirmer son statut de figura. Jérémie écoute la radio et nous traduit : « le toro rencontre un très grand torero ». Il perd une grosse oreille aux aciers. Au sixième, le vent s’arrête et cède la place à la pluie. Les parapluies s’ouvrent, ça nous amuse car nous sommes dans la partie couverte des arènes (celles des places bon marché). La piste devient boueuse. Comme à Bayonne sous un orage aoûtien, Manzanares relâché et décontracté fait une faena de qualité et coupe les deux oreilles (dont une pour la pluie) de son adversaire. A chaque fois que je le vois bon c’est sous le déluge. Manzanares est-il un torero aquatique ? On s’abrite au Pepe Hilo manger leurs délicieux tapas et faire notre propre tertulia. Cigare en bouche et habillé à la Casas* on fait désormais parti du décor, on a presque de l’allure. Un groupe d’arlésiens nous invite à les accompagner en direction de la feria et de ses fameuses casitas. Après trente minutes de marche sous une pluie fine, on arrive dans un lieu incroyable, une sorte de foire du trône de la feria. Face à nous, un énorme arc de triomphe recouvert de milliers d’ampoules. Kitch. La soirée est sympathique mais pas plus qu’ailleurs, plutôt décevant.
*Avant la corrida, on a croisé Simon Casas dans la rue. Voyant l’insistance de notre regard sur sa personne, il nous sourit. En le voyant passer devant Pierre-Yves, on pourrait facilement penser qu’ils sont père et fils.
Mardi : mousson.
C’est la mousson à Séville. La corrida est annulée. C’est la déprime. Dommage, on aurait bien revu Talavante. Le moral est dans les chaussettes (mouillées) et la tête déjà au boulot. On reste à la pensión sans répondre à l’invitation des filles et de leur casista. Triste.
Conclusion :
Les arènes de Séville sont magnifiques, les arches, la taille, l’ocre mais contrairement aux arènes romaines le son est moins bon. On entend mal la musique et encore moins l’action. C’est étrange d’assister à un paseo qui passe inaperçu. La musique est inaudible, les gens parlent, cherchent leurs places… A Séville, la corrida commence véritablement à la première passe de cape. C’est à ce moment là que le silence se fait. Comme à Madrid l’année dernière, Séville nous a déçu, loin du mythe attendu. Enorme déception de l’ensemble des élevages, présidences discutables, public parfois chauvin. De ce point de vu, la France n’a pas à rougir. D’un autre côté, les grandes arènes de l’hexagone (notamment du sud-est) ont encore beaucoup de travail à faire pour respecter le tercio de piques et le travail des cuadrillas. En quatre corridas, aucun matador n’a joué la comédie avec son picador : l’un qui gueule et l’autre qui fait semblant de ne pas l’entendre. A Séville, les toros partent à distance réglementaire, les piques sont belles et brèves, aucun massacre. Il n’y a pas de raison pour que nos arènes ne puissent pas faire preuve de la même rigueur. On a tout à gagner.